Si les pièces uniques créées sur-mesure étaient encore il y a peu l’apanage des clients du luxe, aujourd’hui la personnalisation de produits est devenue commune. Même le mass market s’y est mis : Coca Cola avec Share a coke, Nike avec Nike ID, Carrefour avec Mydesign.com, Absolut avec Unique …
Le luxe doit-il alors encore jouer la carte de la personnalisation ?
La personnalisation était aux origines l’essence même du luxe en répondant aux besoins spécifiques de chaque client. Ainsi, chez Vuitton, dès le XIX ème siècle, un artisan hautement qualifié écoutait la demande, prenait les mesures, proposait différents formats spécifiques, plusieurs finitions et concevait des malles et objets de voyage parfaitement adaptés à la garde robe, aux goûts et à la diligence de l’acquéreur. Son dernier travail revenait à coudre ou graver les initiales pour permettre l’identification facile des bagages et satisfaire aussi l’égo de son propriétaire. La parfumerie, la mode, l’automobile ensuite, obéissaient au même rituel de personnalisation qui recouvrait donc l’ergonomie, la création, la «customisation», la fabrication et le service d’accompagnement indispensable pour tisser des liens durables avec ces rares privilégiés.
150 ans plus tard, pour une multitude de produits haut de gamme ou de luxe, chacun a l’opportunité de créer son propre modèle, d’en choisir les matières, les finitions, d’y graver ses initiales via des tablettes tactiles, des scanners 3D, des prototypes… une expérience devenue accessible grâce aux outils numériques, de la data généralisée à l’impression 3D jusqu’à la logistique informatisée. Chez Normal à New-York, des oreillettes sur mesure, chez Lissac à Paris des lunettes à ma physiologie, chez American pearl de la haute joaillerie, à l’Atelier Cologne un étui nomade à mes initiales, chez Harvey Nichols à Londres du chocolat à mon effigie via iMAKR, sur theartoftrench.com chez Burberry un trench sur mesure parmi 12 millions d’options …
Autrement dit, l’humain, élément clé de la personnalisation du luxe d’hier s’est fait détrôné par le digital. L’artisan par la machine. La main par l’outil. Le fameux digit(al) anglo-saxon, le nouveau doigt de la création.
Même le naming est commun, de NIKE ID et KRUG ID à My M&M’s et MyBurberry, des Bespoke Barber shops de New-York au programme Bespoke de Glenfiddich ou de Rolls Royce, de Citroen C1 Swiss&Me au dernier programme LV&Me…
Que doit alors faire le luxe pour rétablir son statut de maître en sur-mesure et éviter la confusion des genres avec un mass market qui propose les mêmes mécaniques, process et services ?
En premier revaloriser l’humain par le service. Rien ne vaut l’expérience vécue, affective. La «Sainte Expérience», recherchée par toutes les marques et dont le digital leur a finalement volé l’exclusivité. L’ expérience durant laquelle le client est quasi intronisé, choyé, guidé, valorisé, écouté et touché. Pour cela, les marques rivalisent d’invention : Thierry Mugler Parfums met son nez à disposition des clients les plus privilégiés, Vertu propose dans l’abonnement de ses téléphones un service de conciergerie 24h/24, les grandes marques de haute couture organisent des visites privées, des avant-premières, Boucheron des visites exclusives dans ses ateliers … La personnalisation n’est plus matérielle mais devient une émotion, un vécu rare. Le sur-mesure à vocation durable d’hier laisse place au sur-mesure éphémère d’aujourd’hui. Le client retrouve la rareté dans un immatériel que les marques doivent inventer, mettre en scène, scénographier et renouveler. Tout reste à faire !
Autre alternative pour le secteur du luxe : augmenter la valeur liée à la personnalisation. Valoriser les savoir-faire non reproductibles qui nécessitent la main de l’homme, l’intelligence humaine, le temps humain permet de mettre en exergue le fait-main, la beauté de l’imperfection, la poésie de l’aléatoire ( là où l’algorithme génère du hasard)
Hermès l’a bien compris en reprenant finalement un principe inhérent au sur-mesure d’autrefois : la liste d’attente. De 6 mois à plusieurs années de délai pour la fabrication d’un sac Hermès devient ainsi le gage d’un artisanat non standardisé.
Le succès aujourd’hui des « petites maisons de luxe » ou marques niches qui ont fait du sur-mesure leur modèle économique atteste de ce besoin de renouer avec la vraie personnalisation. Nose ou Le Labo en parfum, La Contrie en maroquinerie, les marques suisses horlogères de niche plus confidentielles faisant appel au génie de conception et d’assemblage deviennent des valeurs sûres à l’abri des effets de mode. Dans cette voie, le temps est l’allié du luxe. Le temps long, analogique, tangible, humain devient un atout rare comparé à l’instantanéité omniprésente du digital. Le luxe doit davantage capitaliser sur ce concept pour en extraire son imaginaire propre.
Enfin, dernière option pour le luxe pour retrouver un statut en terme de sur-mesure : adopter finalement sa stratégie d’origine qu’était celle de l’innovation.Le luxe d’hier a construit son mythe sur les avancées techniques pour produire de la différence, de la rareté et donc de l’attraction. Le luxe à l’avenir a tout intérêt à retrouver une posture d’avant-garde. Et l’avant-garde aujourd’hui passe inévitablement par le digital ! Le summum d’un bagage personnalisé aujourd’hui ? Ce serait peut-être davantage un bagage qui reconnait mon empreinte digitale, que je peux localiser en temps réel, avec un service individuel de prise en charge… et c’est plutôt Rimowa qui l’invente. Pas Vuitton.
Le luxe français a la culture de l’héritage plus que de l’innovation. Pourtant, c’est bel et bien dans ce qui lui fait peur, c’est à dire dans les nouvelles technologies qu’il peut réaffirmer son statut et son expertise du sur-mesure. Burberry et son approche anglo-saxonne en est le parfait exemple.
Le digital induit de manière intrinsèque la personnalisation. Il est logique qu’il devienne le nouveau paradigme qui fait rêver les clients. le luxe n’a d’autre choix que de se réinventer.